La communauté qui rêve d’une Eglise catholique sans pape

A Rome, des chrétiens continuent de vivre leur foi comme aux origines. Rencontre

Le petit groupe avoue: «Aujourd’hui, c’est comme si on avait commis un acte subversif.» Dea et Stefano, Gabriella et Antonio, deux couples mariés entourent Giovanni Battista Franzoni, le guide spirituel de la communauté de base de Saint-Paul à Rome. Ensemble, ils viennent d’accueillir dans leurs locaux du quartier Testaccio une célébration de responsables laïques. A l’image de la volonté obstinée de vivre la foi dans la collégialité et la simplicité, caractéristiques de la communauté.

Pour le sacerdoce laïque
A l’occasion du conclave, l’organisation mène campagne dans la Ville éternelle: on demande la reconnaissance du sacerdoce laïque.

La cérémonie, les lieux modestes où des immigrés apprennent l’italien, les personnes présentes de la communauté de Saint-Paul sont à milles lieues de la pompe du Saint-Siège, de la joie pour l’élection du successeur de Benoît XVI, des foules océaniques qui fêtent sur la place Saint-Pierre. Cantonnés à la frontière de l’Eglise, ils existent pourtant depuis la fin des années 60. Et, malgré l’inconfort, ils ne souhaitent pas sortir de la maison catholique.

«Les protestants en leur temps nous auraient accueillis les bras ouverts», sourit Antonio. Dea renchérit: «Nous sommes une épine dans le flanc du Vatican.» Autrement dit, la communauté et d’autres semblables en Italie représentent à gauche ce qu’Ecône incarne à droite du Saint-Siège: une source de troubles et de désagréments.

La communauté de base n’accepte pas les travers de la Curie, les abus des dignitaires, l’opacité des affaires, la multiplication des scandales. Giovanni Battista Franzoni, 85 ans, presque aveugle, exècre ces prélats qui disent la messe sans partager le corps et le sang du Christ avec les fidèles.

Le maître mot ici, loin des intrigues du conclave, est justement «communauté», sans monarque absolu, sans Vatican, sans évêques, sans princes, sans combines financières. Car dans leur organisation, il n’y a tout simplement pas de curés. A première vue, c’est la révolution. Dans les faits, ils s’inspirent des premiers foyers de chrétiens. «Nous sommes plus traditionalistes que le pape», s’amuse Dea. Ils se réclament de Paul plutôt que de Pierre.

La foi des origines
Cet appel à retrouver les valeurs et la foi des origines s’affirme dans les années 60, en même temps que l’exubérance explosive de mai 1968. Un peu partout, en Italie surtout, se regroupent des croyants qui veulent vivre leur foi «hors de la routine, des bâillons, des impostures» de l’Eglise romaine. A Rome, Giovanni Battista Franzoni, alors abbé bénédictin de Saint-Paul qui a participé au concile Vatican II, source d’espoirs déçus de modernisation, prêche démocratie et social. Le Saint-Siège lui reproche «ses désobéissances répétées». En porte-à-faux, il abandonne son titre et ses fonctions. Il obtient en contrepartie de pouvoir exercer son ministère, même si c’est uniquement dans le périmètre de la paroisse de Saint-Paul. A partir de là, une société se développe qui dure encore.

La communauté est un exemple de «l’Eglise silencieuse, selon l’appellation de Claudio Magris, journaliste écrivain italien, qui accompagne depuis toujours l’histoire du catholicisme». De François d’Assise à la théologie de la libération. Marginalisée au fil des ans, elle pourrait regagner cependant de l’influence aujourd’hui. Le besoin de renouveau de l’Eglise, non seulement managériale, monte de toute part, avec une certaine acuité en Europe du Nord. Le manifeste «Kirche 2011», signé par des centaines de théologiens de langue allemande témoigne de cette nécessité pressante.

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